Fantastique

Ouvrir les frontières !
L’aptitude à déplacer les frontières de l’art serait - d’après les post-modernes - la marque incontestable de la qualité d’un artiste aujourd’hui. Les mots pourtant gardent tout leur sens. Celui qui veut déplacer les frontières, c’est celui qui veut faire la guerre. Pourquoi en serait-il autrement dans le domaine de l’art ? C’est avec le seul argent public que vivent les dizaines de Centres d’Art contemporain ou de photographies qui occupent le paysage français.
Les élus conscients de ce fait exigent une fréquentation importante de ces lieux. Mais une question n’est jamais posée. Que proposons nous pour les publics qui ne fréquentent ni les musées ni les théâtres et qui ont le plus besoin de culture ? Cette question toujours éludée, permet alors de proposer aux élus de doper la fréquentation en déplaçant le public scolaire. Dans mon département, il y a quelques années ce public scolaire a visité par centaines une exposition de l’artiste officiel Ben Vautier. Quelle cohérence y a-t-il, entre l’engagement culturel parfois sincère d’élus ou de Directeur(trice)s de Centres d’Art officiels et le fait d’imposer cela à des élèves ?
A qui feront-nous croire qu’une exposition consacrée aux "Ecritures" de cet artiste peut apporter le moindre bénéfice au public scolaire captif obligé de la visiter ? Qui peut croire que ces élèves, issus pour beaucoup de milieux sociaux en grande précarité, vont trouver dans ce type d’exposition la moindre raison d’aller de l’avant, de se battre et de croire en l’avenir, alors que c’est toutes les valeurs du travail qui sont ici anéanties par l’artriste. Imposer cette idéologie artistique désuète et ultra-libérale à un public qui ne peux se défendre, c’est mépriser les plus pauvres, ceux qui souffrent le plus de la crise économique et ont le plus besoin de respect, de beauté (je ne parle pas ici de la beauté mièvre) et de culture. Et le comble, c’est que nous le faisons le plus souvent au nom des valeurs de la gauche !
Toute mon œuvre a tenu compte de cet état de fait dans mon pays. Alors, je ne prétends pas déplacer les frontières, j'essaie de les ouvrir. Dans le fantastique comme dans le merveilleux, je me nourris de la fragilité et de la relativité des choses. J'accepte aussi de ne pas tout maîtriser. Je « m’émerveille » du monde et je l’interroge. Dans le fantastique, nous ne savons jamais si, ce qui est vu dans l’image est le fruit de l’imagination ou d’une intervention surnaturelle. Dans le merveilleux, les conventions du genre font que nous acceptons d’emblée de croire aux anges et aux démons. L’intervention surnaturelle est considérée comme acquise. Fantastique et merveilleux cohabitent dans mon travail. La nature bouleversée par la modernité est au cœur de mes œuvres récentes. Que va-t-il advenir des recherches sur le clonage, des recherches sur les aliments transgéniques ? Que va-t-il advenir des changements climatiques que la modernité a mis en marche au nom de valeurs que nos sociétés persistent à promouvoir ? Tout reste possible, mais qui de Morgane ou de Merlin va triompher ?

Christian Siloé
Juin 2007